SE SENTIR AUTISTE OU PAS
Définition en 2 mots
Selon le DSM 5 (Le Manuel Diagnostic et statistique des troubles mentaux), l’autisme est un trouble neuro-développemental caractérisé par un déficit de la communication et des interactions sociales, ainsi qu’un caractère restreint et répétitif des comportements, intérêts et activités.
Si on devait se représenter l’autisme, ce serait schématiquement une ligne droite avec un seuil en-deçà duquel on est autiste est au-delà duquel on est neurotypique (= pas autiste). On parle de Trouble du Spectre Autistique (TSA) car l’autisme est un spectre large avec plein de nuances. En fait il existe autant de forme d’autisme que d’autistes. Il y a des formes plus visibles que d’autres pour ne pas employer les termes de léger et de lourd (plus pénalisants). Depuis 2013, toutes les anciennes appellations (Syndrôme d’Asperger, Syndrôme de Rett, Trouble Désintégratif de l’Enfance, Trouble Envahissant du Développement Non Spécifié) sont regroupées sous le nom de TSA et sont classées en 3 niveaux en fonction de l’importance du soutien nécessaire à la personne porteuse de ce handicap.
D’ailleurs, certain points de vue ne conçoivent pas l’autisme comme un handicap mais comme une façon différente de percevoir le monde et d’interagir avec son environnement. Cette différence serait plus ou moins marquée en fonction de l’écart par rapport à la norme et aux codes sociaux définis par une société neurotypique.
On est tous un peu autistes hein !
Là où je ne suis pas d’accord, c’est que certaines personnes bien sûr vont reconnaître en eux un ou plusieurs traits autistiques, mais cela ne fait pas d’eux des personnes autistes pour autant, car les traits qu’ils peuvent présenter ne vont pas entraîner de troubles particuliers. Dans ce cas, on parle de style autistique mais les personnes n'entrent pas dans le spectre. Prenons l’exemple du rangement. Si la plupart des gens aiment avoir un intérieur ou un bureau plutôt rangé, le désordre va les gêner un peu ou les contrarier plus ou moins, mais ils peuvent tout à fait le supporter s’il le faut jusqu’à ce qu’ils prennent le temps un jour de ranger. Le lâcher-prise est possible pour eux. En revanche, une personne autiste, telle que moi, ne supporte pas du tout le désordre, cela m’agresse, m’angoisse, me déstructure et cela entraîne une fatigue majeure et si je ne résous pas la situation dans la minute, je vais être contrainte de sortir de la pièce sous peine de crise d’angoisse. Le lâcher-prise n’est pas possible pour moi dans cette situation. C’est un état profond. On voit bien dans cet exemple que chez les neurotypiques, la gêne ressentie reste gérable. Il n’y a pas de trouble qui se déclenche de l’ordre de la déstructuration psychique ou de la crise d’angoisse. Surtout, la personne neurotypique a le choix de ranger tout de suite ou plus tard. Alors que pour moi le désordre me met dans une situation d’urgence où je n’ai d’autre choix que de ranger pour me restructurer et éviter la crise. Donc non, selon moi nous ne sommes pas « tous un peu autistes ». Les questions à se poser face à un trait autistique que l’on pense reconnaître en soi, sont : est-ce que la situation entraîne des troubles invalidants ? Ai-je le choix de lâcher prise dans cette situation ?
Alors, est-ce que je me sens autiste ?
Bein non en fait, je ne me sens pas autiste, tout comme vous ne vous sentez pas spécialement neurotypique. Ma forme d'autisme est invisible. Les gens à qui je dis que je suis autiste tombent des nues ! Il faut dire que mon autisme se situe à raz du seuil au-delà duquel on est neurotypique. C'est invisible, mais ce n'est pas une sinécure car dans ce cas on est entre deux chaises ! "trop autiste pour être neurotypique et trop neurotypique pour être autiste ", comme dirait Julie Dachez (Docteure en psychologie sociale diagnostiquée autiste à 27 ans et auteur de l'excellent ouvrage "Dans ta Bulle"). Ducoup l'environnement, les gens, le travail attendent de moi que je fonctionne comme une personne sans handicap, puisqu'il ne se voit pas. Moi la première, je me conforme aux attentes sans me rendre compte que pour cela, je mets en place des adaptations coûteuses en énergie. Jusqu'au moment où à trop tirer sur la corde, le corps lâche. Mon Handicap est invisible et on pourrait penser à première vue qu'il est léger, mais les troubles associés que je vis au quotidien sont beaucoup plus invalidants qu'il n'y parait. Si je ne me sens pas autiste, je sens bien mes limites sur différents points :
Les interactions sociales et la communication
(L'intéraction sociale par Centre ressource réhabilitation psychosociale)
S’agissant des interactions sociales, les conversations avec plusieurs personnes (en groupe ou en réunion de travail) me fatiguent beaucoup non seulement parce que les personnes passent trop rapidement d’un sujet à un autre pour que je puisse avoir le temps de réagir, mais aussi parce que si je ne connais pas les thèmes abordés cela me demande beaucoup de concentration pour les suivre.
Parler avec une seule personne est moins stressant pour moi qu’avec plusieurs à la fois, encore que, si je ne connais pas bien la personne, le fait de la regarder dans les yeux et de me concentrer sur ce qu’elle me dit ou me demande, ou encore sur ce que je dois répondre, est très fatigant. Alors je finis par couper court à la conversation avec des phrases toute faites et un sourire de circonstance pour éviter de trahir mon esprit saturé (« Je vous laisse, je dois filer », «Je ne vous embête pas plus longtemps, il faut que j’y aille », « Je te coupe mais j’adore ton collier / ta veste…», etc…). Ce qui met rapidement fin aux conversations c’est que je ne sais pas poser de questions pour prolonger un échange banal (sur le temps qu’il fait, par exemple). Si j’engage plutôt facilement la conversation sur des banalités (car à force j’ai appris à donner le change), je me sens vite piégée dans ce type de conversation car je trouve qu’au-delà de trois phrases, il n’y a plus grand-chose à dire sur un sujet creux, on a fait le tour quoi ! En revanche, lorsque je parle avec quelqu’un d’un sujet en lien avec un de mes centres d’intérêts, je suis intarissable (mais j’ai appris à me maîtriser hein parce que ça saoule les gens !).
Mystère n°1 : Pourquoi les gens posent tant de questions ?
C’est fou ce que les gens ont besoin de poser des questions ! Par exemple, là où je me contenterais juste de dire la ville où je pars en vacances, les gens vous mitraillent de questions : « Où tu pars ?, de quand à quand ?, tu y vas juste avec ton fils ou avec tes parents ? tu y vas en voiture ?, combien y a-t-il de kilomètres ?, par où tu passes ? pourquoi ? ».
Mystère n°2 : Comment s’insérer dans une conversation ?
Il y a parfois des groupes où s’insérer dans une conversation est difficile, même pour quelqu’un de neurotypique, il faut bien l’avouer. Il faut presque « jouer des coudes » en coupant la parole aux trop bavards ou en repérant les silences pour pouvoir intervenir avant que le sujet de conversation change. Une Shirley que je connais compare le fait de prendre la parole en groupe à s’insérer sur l’autoroute. C’est tellement ça ! Tu es là, sur la voie d’accélération à guetter la circulation pour pouvoir te lancer. Tout va très vite, mais à un moment donné, tu donnes un grand coup d’accélérateur pour passer avant un gros camion ou une longue série de voitures. Dur ! Je n’y arrive pas toujours mais maintenant je ne me gêne plus pour revenir sur un sujet de conversation même s’il a changé depuis un moment.
Mystère n°3 : Comment se souvenir de l’actualité des gens ?
Le problème c’est que plus on connait de gens, plus il y a de choses à mémoriser ! Mais comment faire pour se souvenir de l’actualité de chacune de nos connaissances ? Quand vous saluez une personne, vous lui demandez des nouvelles de ce dont vous avez parlé la dernière fois : « Alors au fait, ton rendez-vous d’hier s’est bien passé ? », « Alors ton neveux s’est bien remis de son opération ? ». Ce sont les codes, les usages et nos connaissances, même si elles ne le disent pas, s’attendent implicitement à ce qu’on leur demande des nouvelles de leur actualité. Mais moi ça ne me vient pas à l’esprit et c’est très gênant car je crains de passer pour une mal polie ! Chaque jour est un contexte différent et je n’arrive pas à faire de ponts entre les différents contextes. Sauf à ce que je fasse des fiches sur la vie de chacun et que je les révise chaque soir, je n’arrive pas à me souvenir de l’actualité de chacun. Ca me désole !
La perception du monde
L’autisme est donc un trouble neuro-développemental selon la définition, qui donne aux personnes autistes une manière particulière d’appréhender le monde, de le percevoir, de le comprendre, de le vivre et d’y réagir. Il y a autant de façons de percevoir le monde que de personnes autistes et que de personnes tout court d’ailleurs. Qu’on soit autiste ou non, on a chacun notre façon de voir la vie et de la vivre en fonction de notre personnalité, de notre sensibilité, de notre sensorialité, de notre vécu, de notre éducation, etc… Mais il y a une manière d’appréhender le monde qui fait consensus et qui définit une norme. Sachant que cette norme est fixée par des personnes neurotypiques, la différence de fonctionnement des personnes autiste parait anormale ou déviante. Et si l’autisme était la norme que se passerait-il ? Et si la majorité expérimentait le mode d’être au monde de la minorité pour voir…
Avant tout, la façon dont je perçois le monde dépend de mon état interne. Si je me sens bien, que je ne suis pas fatiguée ou que je n’ai pas de souci en tête, je vais voir la vie plus positivement, je vais avoir tendance à vivre le moment présent plus pleinement, à faire les choses plus en conscience, à avoir l’esprit claire, à aller jusqu’à m’essayer à d’avantage de lâcher prise, je vais avoir envie de me lancer dans des projets, je vais m’adapter plus facilement, je vais mieux arriver à communiquer, à socialiser, etc… Par contre, si c’est un jour « sans », parce que je suis fatiguée, saturée de soucis divers, ou mal, par exemple, je vais avoir tendance à me réfugier dans ma bulle, à avoir une vision de la vie plus manichéenne, à être plus rigide, à ne pas avoir envie de socialiser, à vouloir garder le contrôle, à avoir un esprit embrouillé, à me mettre en mode automatique, à sentir que tout m’agresse et tout ce que je vais faire va me coûter beaucoup d’énergie.
Ensuite, ma perception du monde est assez clivée, c’est-à-dire que chaque personne et chaque chose appartient à un contexte particulier. Le problème c’est que si les contextes se mélangent, je suis perdue ! Par exemple, lorsque je croise un collègue de travail au supermarché, il se passe comme un bug dans ma tête car la personne n’est pas à l’endroit où je la côtoie habituellement. Ca me fait le même effet qu’un anachronisme mais dans l’espace. C’est comme si, la tout de suite, pendant que vous lisez ces lignes, votre arrière-arrière grand-père qui n’est plus de ce monde, venait s’asseoir à côté de vous. Quel choc ! Sauriez-vous seulement quoi lui dire ?
Mystère n°4 : Comment peut-on réunir des personnes de contextes différents et trouver des conversations communes ?
Imaginez-vous réunir chez vous pour l’apéro un vieux pote de lycée, vos parents, un de vos voisin et un collègue de travail. Pour moi qui n’arrive pas à faire de lien entre les différents contextes, c’est inconcevable !
Enfin, ma perception des autres est toujours bienveillante. Vous savez, je vis dans un monde de Bisounours où tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau et intéressant (Surtout ne me réveillez pas hein !). D’un côté c’est très agréable d’aborder les gens sans jugement et sans à priori, pour eux comme pour moi, c’est réellement un plus dans les interactions. Mais d’un autre côté cela peut jouer des tours.
La rigidité, les stéréotypies, les rituels
Rien de plus énervant pour la plupart des personnes neurotypiques que de faire tous les jours la même chose, de ranger les choses toujours à la même place, de passer toujours par les mêmes routes, de faire inlassablement toujours les mêmes choses à la même heure ! Alors que pour une personne autiste c’est structurant et cette régularité est très sécurisante. Pour mon garçon et moi, avoir recours à des pictogrammes et des routines de vie quotidienne est indispensable, c’est le fil d’Ariane qui nous guide face à la quantité de choses qu’il y a à faire dans une journée et cela nous permet de débrancher notre cerveau.
L’hyperfocalisation
Les personnes autistes repèrent plus facilement les détails que les personnes neurotypiques. Quand je vais boire un coup à la terrasse d’un café, je vais retenir tout ce que font les gens autour de moi dans les moindres détails, de la façon dont ils sont habillés, de l’endroit où ils sont assis, des bribes de leurs conversations que j’ai pu entendre, de ce qu’ils ont bu, etc… et cette mémoire des détails persiste plusieurs semaines, ce qui surcharge mon cerveau. Cela s’impose à moi et c’est assez pénible. Je vous laisse imaginer la quantité de stimulis visuels qui s’imposent à moi quand je conduis ! C’est très fatigant de rester concentrée au volant plus d’une heure ! Autre exemple, j’ai eu l’occasion de participer à une formation où après avoir vu une diapositive pendant 10 secondes, nous devions dire ce que nous avions vus. Les participant neurotypiques de la formations ont tous donné une réponse globale : « C’est un anniversaire », alors que moi, j’ai répondu « Il y avait des ballons au plafond, 9 enfants autour de la table, des banderoles, un gâteau avec 6 bougies, un clown, etc… » Je n’avais pas tout de suite réalisé qu’il s’agissait d’un anniversaire. Je n’ai pas cette capacité à globaliser.
la sensorialité
La sensorialité est la grande oubliée du DSM5 (Le Manuel Diagnostic et statistique des troubles mentaux) pourtant elle peut s’avérer extrêmement invalidante pour certains autistes qui ne supportent pas le bruit, les lumières trop fortes. Il ne s’agit pas juste de ne pas aimer le bruit ou la lumière, ni d’être juste un peu incomodé par ces stimulis comme les personnes neurotypiques pourraient les vivre, mais on parle bien là de se sentir agressé. Il s’agit d’une question de seuil. Les personnes neurotypiques ont un seuil de tolérance aux stimulis sensoriels plus haut que certaines personnes autistes. Par exemple, mon garçon est très sensible sous la plante des pieds au point que certains matins on peut passer 20 minutes à enfiler des chaussettes car il ne supporte aucun pli ni aucune couture. Quant à moi, j’ai du mal à aller à l’extérieur car j’ai la sensation corporelle de me « diluer » dans l’air ! C’est très angoissant, ducoup je porte souvent plusieurs couches de vêtements serrés pour sentir les limites de mon corps lorsque je sors.
la fatigue
(La fatigue au quotidien par Centre ressource réhabilitation psychosociale)
Evidement lorsqu’on a une sensorialité aussi envahissante, un cerveau qui ne se débranche jamais et un recours constant à des compensations et autres stratégies pour s’adapter à son environnement, ça fatigue. Le plus souvent, je ne me rends pas compte que je m'adapte ou que je mets en place des compensations coûteuses en énergie car à 44 ans c'est devenu automatique. C'est surtout dans l'après-coup que j'en paie le prix. Il m'arrive de ressortir d'un entretien, d'un repas de groupe, d'une soirée ou d'une réunion contente que cela se soit bien déroulé mais de m'écrouler de fatigue dans l'heure qui suit sans comprendre ce qui m'arrive. C'est ce contre-coup qui me fait me rendre compte que sans m'en apercevoir j'ai eu recours à de trop importantes adaptations. Le type de fatigue que je vis n’est pas la fatigue de Monsieur et Madame Toutlemonde qui auraient un coup de barre en rentrant du boulot. Non, dans mon cas, la fatigue correspond à un état de saturation physique et mentale telle que j’en suis totalement terrassée, sidérée ! Dans ces moments-là, je n’arrive même plus à parler, à marcher, à manger, à savoir que faire ensuite, ni même paradoxalement à dormir. Cela peut durer plusieurs jours. Tout m’agresse et je me réfugie dans ma bulle.
Heureusement, avec le temps je commence à mieux connaître et à apprivoiser mon autisme. J'apprends à ne pas en arriver à des situations de fatigue extrême et à repérer les signes avant-coureurs de la saturation pour mettre en place des solutions qui m’aident à décompresser (je les partage dans ce blog). Mon diagnostic d'autisme, même tardif à 44 ans, m'a aidé à prendre conscience de mes limites et à les respecter.
Ajouter un commentaire